Comme un parfum de Provence !

Les croûtons grillés arrivèrent en premier dans de petites corbeilles en métal ... ils étaient beaux blonds et dorés mais sans vraiment de caractéristiques typiques et il fallait absolument se reconnaître dans ces petites gourmandises anonymes .

Les quelques Parisiens récemment arrivés au village n'y virent que du feu et les disposèrent élégamment dans leurs assiettes creuses tandis que de jolies serveuses attentives , une soupière à la main venaient dispenser des louchées de divin bouillon pour les arroser ! Quelle hérésie ! C'était mal connaître notre vieille garde provençale qui réclama à grands cris des gousses d'ail pour donner vie à ces quelques morceaux de pain avant de les tartiner de rouille odorante et les arroser du sublime nectar de la mer !!!!

Aussitôt un parfum bien de chez nous se dégagea des tables , se déposa sur nos doigts délicats tandis que Lily conseillait doctement une récalcitrante estrangère avec ces mots d'encouragement ; " Frotte-les d'ail , c'est bon pour les intestins !" L'odeur gagnait en prégnance donnant à notre table un caractère diabolique qui incita les hommes à remplir les verres d'un merveilleux rosé de chez nous servi juste à température , parant ainsi à toute éventualité de ressentir soudain l'envie de savoir si le breuvage avait de la cuisse... Un puriste voulu absolument réclamer du rapé pour les femmes , mais ces velléités revendicatives finirent dans une gorgée de la sublime cuvée , ce que personne ne déplora car les plats arrivaient , débordant de poissons , calmars , moules , favouilles et pommes de terre cuites à point et rouges de safran !... Une merveille ! Les femmes découpaient , servaient ces trésors de la mer les dépouillant de leurs arêtes , car les messieurs n'aiment guère s'embêter avec cela , tandis qu'eux-mêmes faisaient circuler la soupe que les serveuses avaient préféré abandonner sur les tables devant tant de gourmandise ... Des gestes nets et précis de Méditerranéens rompus à la dégustation du mets traditionnel et emblématique de notre région , presque des gestes de chirurgien !

C'était beau comme le tableau de chasse d'un obscur peintre hollandais retrouvé dans le vieux grenier d'une nonagénaire !

L'ail faisant son effet légèrement soporifique , Geneviève qui était venue dans l'idée d'oublier pour un temps l'opération qu'elle doit subir ce mardi , manifesta un désir soudain de dormir , que nous résolûmes provisoirement en demandant des glaçons que nous lui servîmes à discrétion !

L'eau fraîche la régénéra en attendant la superbe omelette norvégienne qui conclut ce beau moment gastronomique !

Nous rejoignîmes enfin notre car , emportant avec nous , ce parfum costaud et persistant , qui se répandit aussitôt dans l'habitacle et ne nous quitta plus guère jusqu'au village , où , tout de même l'air pur de l'extérieur nous fit du bien !