Ce n'est pas parce que l'on n'a rien à dire qu'il faut fermer sa gueule ...

Hier , pétoires et califourchon ... c'est la Saint Eloi ce ouikinde ... ce matin , réveillée à l'aurore aux doigts de fée comme l'a écrit un poète imbécile , encore avec des tirs de carabine , dont j'ai cru que le fou de la colline d'en face était encore l'auteur ... C'est ainsi qu'il chasse les pies qui prolifèrent en ce moment parce qu'elles se nourrissent des oiseaux tombés des nids , lesquels sont désertés par les parents attentifs qui en partent pour approvisionner leur couvée ... Depuis , je cherche l'une de mes chattes qui s'est planquée à l'abri du tir aux pigeons meurtrier ...

Rien de neuf sur l'actualité , Rocard vient de mourir , mais il avait atteint la limite d'âge fixée par le corps médical ... ce qui permet à Valls qui était son petit protégé d'en faire des tonnes ... Ridicule , il arrive toujours un moment dans la vie où il faut tuer le père ...

J'ai été dès ma naissance une môme infecte et je dois assumer cette éducation , mes parents ne désirant pas que l'on bêtifie devant moi appelaient un chat , un chat et un chien par son nom et surtout pas un ouah ouah ... ma grand-mère voyant que j'étais douée , m'apprit très tôt à lire par la méthode syllabique , la seule qui existât alors , faisant de moi une paria ...Les deux plus jeunes de mes tantes , qui étaient alors célibataires , ne voulurent plus me sortir , tant ma voix claire , distincte et articulée faisait entendre mes jugements de Cour ... Seule ma grand-mère possédait assez de self-contrôle pour ignorer mes sorties tonitruantes ...

Lorsque j'ai suivi mes grands-parents qui partaient de Tunisie , nous avons été reçus par Louise , la sœur aînée , de ma grand-mère qui , ayant eu onze enfants avec son mari qu'elle prétendait détester , avait développé une poitrine énorme qu'elle sanglait dans un corset ce qui en accroissait la rotondité , dans la mesure où tout ce qu'elle avait de tendre et de gras à la taille , remontait se libérer dans des bonnets considérables ...

Je n'avais jamais vu cela de ma jeune existence ... Dans le sud , les seins sont portés libres de toutes contraintes ... soyeux et doux comme des fruits mûrs offerts aux hommes , aux enfants et au soleil ...

J'en pris conscience la première fois qu'elle nous accompagna en autobus , mon aïeule et moi ... C'était un vieux car antédiluvien , dit à plateforme ( c'est-à-dire que la partie arrière était dépourvue de vitrage , ouverte à tous les vents ...) et surtout que l'antiquité n'avait pas d'amortisseurs ... A chaque pavé traversé ( nous étions à Adamville -Saint-Maur-des-Fossés ... ) sa monstrueuse poitrine était agitée de sursauts et menaçait de craquer son corsage ...

J'étais fascinée et , comme d'habitude , je ne pouvais détacher mon regard de cette chose mouvante , incompréhensible et tragique qui cherchait vainement , comme un animal captif , à se défaire de ses liens ...

Ma grand-mère qui me connaissait par cœur voyait la direction de mon regard attentif et surpris et me suppliait mezza voce " Harry ... regarde comme les bords de Marne sont beaux en ce moment ..." ... Rien à faire je revenais à mon poste d'observation mamellaire avec l'obstination d'un ânon ... Louise , qui n'était pas plus bête qu'une autre se mit à me lancer des regards furieux , délivrant ma grand-mère de son fou-rire ...

Louise commença , elle aussi , à me détester à jamais !