Un mur d'incompréhension

Cela s'est fait insidieusement et sans que nul n'y prenne garde , un mur d'incompréhension s'est élevé entre nous à l'insu de notre plein gré...

Certes , nous avions pris l'habitude de vendre sur les marchés des produits typiques de notre belle Provence , tous scrupuleusement étiquetés made in China , mais personne ne les obligeait à les acheter ... Certes , ils se faisaient copieusement détrousser dès qu'ils aventuraient une roue sur la Canebière , certes nous ne parlons pas le même langage ... et enfin , dès qu'ils tentaient de disputer une partie de pétanque avec nous sur un boulodrome , nous leur mettions la pâtée et les obligions à embrasser Fanny ... mais était-ce la raison nécessaire et suffisante pour que les touristes parisiens se révoltent contre nous et entament cette sorte de guerre froide en pleine canicule , sans même l'espoir d'un téléphone rouge , comme autrefois entre Moscou et Washington ?

J'allai , hier , faire un petit tour sur l'esplanade Charles de Gaulle , afin de rencontrer quelques charrettes et me délier un peu la langue ... Je trouvai une excellente place au parking jouxtant la Caisse d'Epargne ... et m'en fus , légère et court vêtue , prendre l'air du village... Je fus gâtée en rencontres sympathiques et m'en retournai assez tard reprendre mon véhicule ... Là impossible de m'asseoir à l'intérieur ... un sagouin avait aplati le rétroviseur contre le véhicule et s'était installé si près qu'il m'était impossible d'ouvrir la portière côté chauffeur ... Naturellement , l'odieux personnage arborait un 75 provocateur qui exprimait clairement sa volonté de me nuire... Heureusement , je portais un pantacourt assez délicieusement clouté de petits boutons métalliques que j'avais déniché chez ... Bref , je passai par le côté passager et après une envolée de jambes me retrouvai au volant ... j'eus bien la tentation de lui casser les essuie-glaces mais je réfrénai mes pulsions barbares et je n'en fis rien ...

J'arrivai chez moi où j'eus la désagréable surprise de devoir constater qu'un autre véhicule , immatriculé d'un petit 75 indécent et parfaitement hostile , s'étalait devant mon portail bouchant partiellement l'entrée , alors que le parking sous les acacias était complètement vide ! Mon sang ne fit qu'un tour et comme je conduisais , ce jour là , ma vieille voiture couverte de taches de peinture qui me sert à transporter mes toiles , je décidai péremptoirement de forcer le passage envers et contre tout , quitte à esquinter de façon ferme et définitive le véhicule de l'horrible envahisseur ...C'est alors que je vis accourir , comme un malade, de l'entrée du lotissement , un bonhomme grisonnant et blanc comme un cachet d'aspirine , qui vint soustraire , affolé , sa totomobile toute neuve à ma convoitise... C'était raté !

Je me pose maintenant une question : cette guerre des nerfs avec l'automobiliste parisien va-t-elle durer longtemps ? Vais-je être obligée de faire blinder mes pare-chocs ? Tout cela me navre , car tout me porte à être pacifique ...